Posté le 21 février 2014.
Peu de chamanes peuvent s’enorgueillir du prestigieux titre de « Maestra ». Ce vocable désigne dans le monde de la forêt amazonienne celle qui connaît les plantes et qui tutoie l’intimité de leurs esprits. Justinia Cerrano Alvarez, qui porte aussi le nom « Nihue Rama » (vent d’aujourd’hui) est la plus titrée des guérisseuses végétaliennes formée à la médecine traditionnelle Shipibo-Konibo. Elle est née en mars 1959 dans un petit village, Vencedor, situé au cœur de la selva amazonienne péruvienne, sur les berges du fleuve Pisqui. Très tôt, elle fut plongée au cœur de la Cosmovision propre à son ethnie et elle put s’initier à l’extraordinaire culture Kene, rendue célèbre pour l’art de ses céramiques ou la complexité de ses dessins textiles. Elle tomba gravement malade à l’âge de quinze ans et elle ne fut sauvée que grâce aux soins shamaniques de son oncle qui était un guérisseur reconnu. Les diètes de plantes « maestras » auxquelles elle fut soumise (camalonga, chiricsanango), les chants sacrés « Icaros » qui permettent de communiquer avec les esprits, la sauvèrent d’une mort certaine. Justinia mit à profit les enseignements reçus pendant toutes les années de maladie et se perfectionna dans l’étude des plantes de la forêt et leurs usages dans les rites curatifs.
En quelques années sa renommée dépassa les limites de la forêt pour devenir une légende dans le monde des guérisseurs traditionnels car de nombreux adeptes à la connaissance shamanique n’hésitent pas à venir passer plusieurs mois pour se faire former par la Maestra. On ne peut aborder cette discipline de soins sacrés que par la connaissance approfondie des rites liés à la liane magique « Ayahuasca »* qui permet de communiquer avec les esprits de la forêt. C’est dans cet ensemble de connaissances et de compétences approfondies de génération en génération que Justinia essaiera de nous faire entrer.
Justinia « Nihue Rama » est probablement la meilleure clé pour nous faire comprendre ce paradigme. Le développement dans nos sociétés d’une multiplicité de médias « lobotomisateurs » et complaisants introduit de plus en plus d’ignorance chez les citoyens bernés. Ceux-ci, évincés des connaissances devenues ésotériques seront de moins en moins capables d’appréhender les problèmes fondamentaux et les problèmes globaux que génèrent nos sociétés industrialisées et ils deviendront plus vulnérables aux maladies. Le profane est dépossédé du droit à la connaissance pour les plus grands profits des politiques et des religieux. Dès lors, la dépossession du savoir, érigée en système coercitif pose le problème capital, celui de la pertinence de la démocratie cognitive. Justinia « Nihue Rama » se présente comme une lumière pour toutes les sentinelles qui luttent contre cette sécheresse programmée : les chamanes.
Michel Bagnaud
*La consommation de la plante Ayahuasca est strictement interdite en France et expose à des poursuites judiciaires.